APPRENONS PAR NOS GAFFES
Je ne sais pas pour vous, mais pour moi qui ne suis encore qu'un tout petit joueur, il m'arrive parfois d'enchaîner des gaffes au cours d'une ou plusieurs parties d'affilée, comme hier ou mon elo a perdu plus de 200 points sur Buho21 . Au delà de cette contre performance toute symbolique et l'énervement passé, je me suis dit qu'il était temps que je fasse la démarche inverse de d'habitude et que je décortique -enfin- l'une de ces défaites pour tenter d'y comprendre quelque chose. Et l'exemple qui suit m'a fait repenser à un commentaire que Nunn écrit dans son excellent livre "le secret de l'efficacité aux échecs" à propos des complications tactiques : beaucoup de joueurs qui ont l'avantage pêchent par excès de confiance ou volonté de "briller" et privilégient des suites compliquées et douteuses plutôt que des coups plus ternes et plus sûrs. Ce phénomène est encore plus aigu lorsqu'on joue un blitz où la création de complications est censée faire consommer du temps de réflexion à l'adversaire ; elle se retrouve aussi, toujours particulièrement en blitz, lorsqu'un léger désavantage nous pousse à vouloir créer la confusion et jouer la montre. Et hier, je suis tombé en plein dans le panneau ! Non seulement j'ai choisi de lancer les complications, mais je n'ai même pas été capable de mener jusqu'au bout la combinaison, pourtant gagnante. Les raisons de cet échec sont, je crois, assez instructives. Cela concerne les sacrifices de déviation : vous visez une case critique, celle-ci est contrôlée par une pièce adverse que vous éloignez délibérément en lui donnant du matériel, ou en provoquant son échange. Dans cette situation, l'attaquant qui a l'initiative et inaugure le sacrifice se préoccupe avant tout de la suite de sa combinaison et néglige les conséquences du mouvement de la pièce détournée ou de la nouvelle pièce impliquée dans l'échange (qui, dans son esprit n'avait pour seule finalité existentielle que d'être détournée ou de conclure l'échange). La position qui suit en est un exemple caricatural. Bien sûr, à froid et à tête reposée, l'erreur semble évidente... mais j'aurais bien voulu vous y voir, vous autres avec à peine une minute à votre compteur pour jouer ces trois coups décisifs !
Voici la position de départ.
Nous sommes au 30e coup. J'ai les noirs et le trait. La position est équilibrée sur le plan matériel (1 cavalier contre 3 pions). Je me dis qu'il pourrait y avoir moyen de profiter de la position du roi et de la dame blanche pour tenter une enfilade. Pour ce faire il suffirait de pouvoir jouer la tour en c2, la protéger au préalable par la dame, et détourner le Ce3 de la défense de la case critique c2. Je joue donc 30...Dg6 (position 2)
Ce coup a l'air idéal pour remplir cet objectif. Le pion d5 est laissé délibérément en prise pour le Ce3 et la dame contrôle bien la case c2... Les blancs acceptent le sacrifice, sans méfiance 31.Cxe5 et je continue logiquement par 31...Tc2. Les blancs n'ont maintenant qu'un seul coup valable : interposer la tour par 32.Te2 (position 3)
Prendre la tour ne servirait pas mes intérêts. Je constate qu'en h5, la dame noire attaque la Te2 avec gain de temps. Je joue donc 32.Dh5+! (position 4)
Les blancs ne peuvent pas prendre la Tc2 car ils doivent d'abord parer l'échec. Ils jouent 33.Rg2 et c'est maintenant qu'arrive l'incroyable gaffe : je joue 33...Txe2?? (aaarghhh!!!, position 5)
Pourquoi s'agit-il d'une gaffe ? Parce que dans ma précipitation et ma gloutonnerie, j'ai totalement oublié le cavalier blanc, maintenant capable de prendre la dame par 34.Cf6 Il aurait suffit de jouer 33...Dxe2! pour prendre l'avantage. Dans cette histoire, je retiens deux défauts : l'absence d'exhaustivité dans les calculs, rendue difficile par le fait qu'en général, notre cerveau lance les calculs en intégrant, dans l'ordre, les éléments suivants 1) la position initiale, 2) le mouvement de nos pièces et des cibles de l'adversaire, et 3) la position de toutes les pièces de l'adversaire à chaque demi-coup, élément fastidieux s'il en est ! Mon deuxième défaut a été l'entêtement à poursuivre l'idée de départ sans tenir compte de l'évolution de la position. Il m'était inconcevable que mon projet initial d'enfilade soit réalisé autrement qu'avec la tour. On pourrait appeler cela de la psychorigidité.
J'imagine un de mes amis blogueur me conseiller d'être zen et de ne pas douter de la force qui est "avec" moi... Mais le doute, ça fait progresser, non ?