LA PROFONDEUR INSONDABLE DES ECHECS... POUR FRITZ !
Analyser, toujours analyser et analyser encore... Telle pourrait être la devise du joueur qui veut progresser aux échecs avec opiniâtreté. Dans mon manuscrit (que, je vous le rappelle, je vous envoie gratuitement sur demande et qui a eu droit à quelques critiques sympathiques sur echecsX, echecs et Fab, ou echecs passion tour, -oui je sais, un peu de pub, ça ne fait jamais de mal !-) j'avais analysé avec l'aide de Fritz 61 parties qui avaient comme principal intérêt leur combinaison finale. Je ne m'étais pas du tout appesanti sur les aspects stratégiques ou les idées des ouvertures et j'avais fait une confiance exagérée dans l'analyse tactique des variantes faite par Fritz... C'était une erreur, comme en témoigne l'exercice que nous nous sommes amusés à faire avec Philippe Kesmaecker (que je remercie chaudement pour le temps qu'il y a consacré) : je lui ai laissé choisir une partie du livre pour la commenter, afin qu'apparaisse dans le texte le niveau d'analyse du débutant (moi) et celui de l'expert (lui). Le résultat est très instructif, comme cela apparaît dans ce document que je vous encourage à télécharger ici. La partie choisie était la partie 27, sur laquelle je vous avais déjà fait plancher en mars dernier. Suite à mon 21e coup que je croyais fort, Philippe K a trouvé une défense très simple et redoutable que Fritz n'avait même pas évoquée dans son analyse. Lorsque je m'en suis étonné auprès de lui, il m'a fait une réponse pleine de bon sens sur les capacités de Fritz que je vous livre ici et qui je pense pourront vous faire mieux comprendre le rôle que ce logiciel peut avoir auprès des forts joueurs. Je trouve ce petit laïus, tout comme l'analyse de la partie, à la fois bien écrit, limpide, et très didactique !
Bonjour Vincent ! Tu t’étonnes des lacunes de
Fritz. En réalité, l’un des travers les plus courants chez les joueurs amateurs
que nous sommes est une confiance inconditionnelle dans les calculs et surtout
les évaluations de moteurs d’analyse tels que Fritz, Crafty ou Rybka, etc. et
c’est ce qui transparaît à travers les commentaires de tes parties. Entendons-nous,
ces logiciels sont extrêmement forts et il est clair que je perdrais un match
contre n’importe lequel d’entre eux sur un score sans appel. Pour autant ce ne
sont que des outils. On a fait toute une histoire sur
« l’ordinateur qui battait l’homme aux Echecs » parce que c’était un
gros fantasme de l’ego humain mais, à mon avis, c’est un débat sans objet.
Est-ce qu’il viendrait à l’idée d’un haltérophile de faire un concours avec un
chariot élévateur ? Est-ce que le champion du monde de natation ferait une
course avec un sous marin ? Fritz
est extrêmement fort en calcul brut, à condition que le calcul reste dans
certaines limites et qu’il ne se heurte pas au fameux « effet
d’horizon ». En revanche, lorsque la longueur du calcul dépasse ses
possibilités, ses évaluations peuvent être exactement à l’inverse de la
réalité. De la même façon, lorsqu’il n’y a rien à calculer, le logiciel donne
une évaluation sur les éléments durables de la position, notamment le matériel.
Cette évaluation peut s’avérer complètement fausse parce qu’elle ignore
certains facteurs qui ont parfois une importance capitale, comme la capacité
d’évoluer (= le potentiel) d’une position donnée. Il y a une foule d’exemples
sur ce sujet. Dans le cas précis qui nous occupe (ta partie que j’ai essayé de
commenter), un joueur expérimenté va avoir une méfiance naturelle à l’égard
d’un coup comme …Te8-e5. Il va sentir plus ou moins confusément qu’il y a trop
de pièces et pas assez de cases dans ce secteur. J’ai souvent entendu des
grands maîtres baser leurs explications sur des évidences du genre « un
pion ne peut pas reculer » (Karpov) ou bien « on ne peut mettre
qu’une seule pièce par case » (Andreï Sokolov). Cette deuxième La Palissade convient tout à fait
ici. Il n’est absolument pas surprenant qu’un moteur de calcul ne sente pas les
dangers d’un coup comme …Te8-e5. Le logiciel ne comprend pas, il ne ressent
pas, il n’a pas d’intuition. Bref, il ne pense pas. Pas plus qu’un tractopelle.
Pour progresser, il est capital d’analyser soi-même ses parties, « à
l’ancienne », avec un vrai jeu d’Echecs, un papier et un crayon. On note
d’abord tout ce qu’on a vu et pensé pendant la partie. Ensuite, on vérifie et
on analyse en bougeant les pièces comme s’il s’agissait d’une partie par
correspondance. C’est seulement après ce travail (qui prend environ deux heures
pour une partie) que l’on scanne les résultats avec un moteur d’analyse… Fritz
est un outil et il est très facile de mal l’utiliser. On a l’impression
d’avoir, en un clic, la vérité sur une position. C’est peut être vrai dans la
majorité des cas, mais il y a de nombreuses situations dans lesquelles –
heureusement ! – son jugement est complètement faux. Sans compter la
multitude de cas où il y a plusieurs vérités, comme dans la vie. De plus, il
peut être un facteur de stagnation, voire de régression échiquéenne. Il est
tellement plus facile de lancer Fritz que de réfléchir ! PK